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Le fisc fait irruption dans l'affaire Bouvier

L'immeuble genevois appartenant à la Société Immobilière Natural Le Coultre, propriété d'Yves Bouvier.

Nouvel épisode dans la saga judiciaire qui touche le marchand d'art genevois propriétaire de société Natural Le Coultre. Alors qu'il fait l'objet d'une procédure à Monaco pour escroquerie et complicité de blanchiment en lien avec la vente de 37 tableaux de maître à l'oligarque russe Dmitri Rybolovlev, Yves Bouvier est désormais soupçonné en Suisse de soustraction massive d'impôt sur une période de dix ans.

Le 13 mars dernier, le chef du département fédéral des finances, Ueli Maurer, a autorisé le fisc à ouvrir une «enquête spéciale» contre le Genevois en raison de «soupçons de graves infractions fiscales», révèle une décision du Tribunal pénal fédéral publiée ce lundi. Cette enquête spéciale permet notamment à l'Administration fédérale des contributions (AFC) de procéder à des perquisitions et prononcer des séquestres.

Derrière le rideau des sociétés-écrans

En lisant cette décision, on découvre que l'AFC soupçonne Yves Bouvier d'avoir notamment encaissé d'importants dividendes de deux sociétés qui lui sont liées – l'une domiciliée à Hong Kong, l'autre dans les îles Vierges britanniques. Des revenus qu'il n'aurait pas déclaré au fisc suisse, selon les percepteurs fédéraux. L'AFC affirme également qu'Yves Bouvier réside toujours en Suisse, bien qu'il possède une adresse à Singapour depuis 2009. La soustraction fiscale présumée aurait duré de 2005 à 2015. Yves Bouvier aurait ainsi évité de payer la coquette somme de 80,9 millions de francs d'impôts.

Ce n'est pas tout. Durant la même période, les deux sociétés «offshore» liées à l'homme qui a longtemps été présenté comme le pilier du système des Ports Francs genevois auraient généré des bénéfices imposables en Suisse. Eux non plus n'auraient pas été déclarés. Ces revenus proviendraient de l'utilisation, en tant qu'intermédiaires, de ces sociétés dans le commerce d'œuvres d'art de Yves Bouvier. Là aussi les montants en jeu sont énormes: les impôts dus par les deux sociétés sont estimés à 84,2 millions de francs – plus les intérêts de retard.

Au total, ce seraient donc plus de 165 millions de francs d'impôts qui auraient dû être payés. L'affaire est hors-norme. A titre de comparaison, l'ensemble des enquêtes menées par l'AFC l'année dernière ont permis de récupérer 41 millions de francs d'impôts.

Démenti farouche de l'entourage d'Yves Bouvier

Tout en poursuivant son enquête, l'AFC a déjà séquestré plusieurs biens dont un immeuble genevois appartenant à une société d'Yves Bouvier. Evalué à 4,5 millions, ce bâtiment est situé dans le quartier genevois de Sécheron. C'est pour s'opposer à sa saisie que les avocats de l'homme d'affaires genevois avaient saisi la justice fédérale. En vain puisqu'ils ont été déboutés avec la décision publiée ce lundi.

«Monsieur Bouvier rejette catégoriquement ces accusations de soustraction d'impôts», réagit Pierre-Alain Guillaume, l'avocat qui représente l'homme d'affaires et les deux sociétés. Ce dernier réfute point par point les soupçons des Impôts: non, les entreprises liées à son client n'ont pas généré de bénéfices non déclarés en Suisse, pas plus qu'elles n'ont versé de dividende durant les années concernées. «Monsieur Bouvier est par ailleurs au bénéfice d'une carte de résident singapourien, poursuit l'avocat. Après vérification, l'administration fiscale genevoise a confirmé en 2015 qu'elle avait reconnu le transfert de domicile à Singapour dès 2009».

Pour Pierre-Alain Guillaume, le point de départ de l'enquête fiscale est la «campagne de dénigrement» dont a été victime son client dans le cadre du litige qui l'oppose à Dmitri Rybolovlev. Le magnat russe, propriétaire de l'AS Monaco, lui mène une guerre judiciaire sans merci depuis février 2015. Il accuse le Genevois lui avoir vendu à des prix surfaits toute une série de peintures, dont des Picasso et des Modigliani. Dans le cadre de cette affaire, «il a été affirmé, de manière parfaitement infondée, que Monsieur Bouvier se serait livré à des infractions fiscales en Suisse. Devant ces attaques, Monsieur Bouvier a spontanément approché les administrations fiscales pour les assurer de sa pleine collaboration», poursuit le conseil d'Yves Bouvier. L'avocat rappelle que l'enquête n'a encore livré aucune conclusion et que le marchand d'art bénéficie de la présomption d'innocence.

L'AFC de son côté ne fait aucun commentaire sur la procédure en cours.

Yves Bouvier n'est pas le seul acteur du marché de l'art dans le viseur des autorités fiscales suisses. Le multimillionnaire et collectionneur zurichois Urs Schwarzenbach est accusé de faits très similaires: il aurait mené un commerce d'œuvres d'art non déclaré en Suisse par le biais d'une société enregistrée à l'étranger. Le fisc zurichois a provisoirement bloqué quelque 200 millions de francs en attendant de terminer son enquête.

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A Monaco, le clan Rybolovlev est fragilisé par des soupçons de connivence

La révélation d'échanges de SMS empreints d'empathie entre Tetiana Bersheda, l'avocate de l'ex-oligarque Dmitri Rybolovlev, et les policiers enquêtant dans l'affaire Bouvier sème le trouble à Monaco. Au point de pousser le ministre d'Etat Serge Telle à renouveler, hier après-midi, sa confiance «en la justice et la police», alors que courait le bruit d'une rencontre entre le prince et le directeur des services judiciaires, Philippe Narmino.

Origine de cette agitation? Des échanges fort cordiaux entre Tetiana Bersheda et le directeur de la police judiciaire, Christophe Haget, qui laissent soupçonner que l'interpellation de l'homme d'affaires suisse à Monaco le 25 février de cette année-là semble avoir été préparée de concert.

Ainsi, le 26 février 2015, le commissaire s'adresse à l'avocate: «Nous utiliserons les confrontations de demain pour renforcer la compétence à Monaco.» Tetiana Bersheda s'adresse à son tour au policier le 28 février: «Je vous appelle lundi pour coordonner les actions en Suisse et ailleurs. On y réfléchit encore, amitiés.»

Contactée, la défense de Dmitri Rybolovlev réagit à tous ces soupçons dans une prise de position envoyée par courriel: «La saisie et la publication de données couvertes par le secret professionnel et le secret de l'instruction marquent un nouvel épisode inquiétant dans la manière dont est conduite l'enquête.»

A Monaco, les soupçons restent nourris par d'autres affaires touchant la Sûreté publique. Exemple avec l'ancien commissaire Christian Carpinelli, qui ronge son frein depuis le printemps dernier dans une geôle de la Principauté. Ce dernier est incarcéré pour avoir permis à un homme d'affaires belge de bénéficier d'une résidence fictive à Monaco moyennant rétribution. Apparu dans la fuite de dossiers «SwissLeaks», il aurait ainsi échappé à l'impôt en Belgique.

Le rapport rendu en juillet par le Greco, organisme interétatique chargé de lutter contre la corruption, alourdit un peu plus le climat de suspicion. L'organisme s'intéresse à «la prévention de la corruption des juges» et «la prévention de la corruption des procureurs». La plus haute juridiction monégasque, le Tribunal suprême, y est largement expertisée. Son président, Didier Linotte, est lui-même sous les projecteurs pour s'être associé à Ajaccio avec un avocat impliqué dans une retentissante affaire de blanchiment de fraude fiscale. Ce magistrat siège par ailleurs depuis décembre 2016 au Tribunal arbitral du sport de Genève.

Tout cela ne fait qu'attiser les flammes autour du Palais de justice, d'autant que Franck Michel – l'avocat monégasque d'Yves Bouvier – fait état d'une deuxième expertise du fameux téléphone portable. Elle révélerait les échanges de Tetiana Bersheda avec Philippe Narmino, le procureur Jean-Pierre Dreno et le directeur de la HSBC Monaco, banque à l'origine d'une attestation fallacieuse versée au début de la procédure.

Mais le milliardaire russe n'a pas dit son dernier mot et ses avocats ont intenté un recours visant à annuler la première expertise des SMS. Contactés, ses conseillers répètent «qu'aucune réponse ne sera apportée aux multiples et vaines manœuvres, médiatiques ou judiciaires, visant à éloigner le public du fond du dossier». C'est-à-dire à l'affaire des tableaux supposément surfacturés à hauteur de centaines de millions. Jean-Michel Verne, Monaco