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L’Espagne troublée par les révélations des « Panama papers »

Les enquêtes du fisc à partir des documents panaméens risquent de tourner court en raison d’une amnistie.

Par  (Madrid, correspondance) et

Publié le 11 mai 2016 à 19h27, modifié le 13 mai 2016 à 11h14

Temps de Lecture 6 min.

Le ministre espagnol de l’industrie, José Manuel Soria, à Madrid, le 13 avril, deux jours avant sa démission.

L’Espagne en a vu d’autres, ces dernières années. Les affaires de corruption ne se comptent plus. Les détournements de fonds destinés aux chômeurs, les pots-de-vin institutionnalisés en Catalogne ou à Valence, les cartes de crédit offertes aux politiques, les campagnes électorales financées par des réseaux de corruption et autres pillages des caisses publiques s’étalent tous les jours dans les journaux depuis que le pays a évité de justesse la faillite, en 2012.

La publication en Espagne des « Panama papers » aurait donc pu passer inaperçue. Ça n’a pas été le cas, et ces nouvelles révélations ont laissé aux Espagnols un goût amer.

Que Lionel Messi, le joueur argentin du FC Barcelona, soit devenu en 2013 bénéficiaire économique de Mega Star Enterprises, une société créée au Panama à peine plus de dix jours après une plainte de la justice espagnole pour fraude fiscale, n’est pas vraiment une surprise. Le quintuple ballon d’or est empêtré depuis plusieurs années dans ses déboires avec le fisc, et doit être jugé avec son père à partir du 31 mai à Barcelone, pour une fraude de 4,16 millions d’euros en deux ans.

Idem pour Rodrigo Rato. L’ancien directeur général du Fond monétaire international (FMI) et ministre de l’économie sous José Maria Aznar (1996-2004) a fermé deux sociétés offshore en 2013, Red Rose et Westcastle Corp., après avoir rapatrié 3,6 millions d’euros. Simple confirmation des soupçons de la justice qui enquête sur lui pour détournement de fonds, blanchiment et délit fiscal. Et que dire d’Oleguer Pujol ? Le benjamin des fils de l’ancien président de la Catalogne Jordi Pujol a autorisé, selon les fichiers du cabinet Mossack Fonseca, le versement d’une commission de plus de 6 millions d’euros à une société-écran. Or, il est visé par une enquête depuis 2014 pour blanchiment par le biais d’opérations immobilières.

Doña Pilar, Almodovar…

Mais nombre d’autres noms sont apparus dans les « Panama papers », épluchés à Madrid par la chaîne de télévision La Sexta et le site d’information Elconfidencial.com. Ainsi, la propre tante du roi Felipe VI, Pilar de Bourbon, 79 ans, connue pour ses activités caritatives, a mis six jours à reconnaître avoir détenu une société au Panama, Delantera Financiera. En assurant qu’elle n’avait « jamais disposé de revenus ayant échappé au contrôle des autorités fiscales compétentes ». Pour les Espagnols, le trouble est d’autant plus grand que l’existence de la société panaméenne correspond aux temps forts du règne de Juan Carlos, le frère de Doña Pilar.

Pilar de Bourbon prend la présidence de la compagnie en août 1974, alors que Juan Carlos vient d’assumer temporairement le pouvoir en raison des problèmes de santé de Franco, qui meurt un an plus tard. La décision de fermer la société offshore est prise le 2 juin 2014, le jour même de l’annonce par Juan Carlos de son abdication, et sa clôture prend effet le 24 juin, cinq jours après la proclamation de Felipe VI.

Les Espagnols, qui craignent de voir la Couronne tremper dans les affaires, attendent toujours des explications de la Casa Real (le palais royal), qui s’est contentée de préciser que Doña Pilar ne fait pas partie de la famille royale au sens juridique du terme.

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Le tour est ensuite venu de l’icône du cinéma espagnol, le réalisateur Pedro Almodovar. Homme de gauche connu pour ses prises de position et ses affinités avec les écolo-communistes, il a détenu, avec son frère Agustin, producteur de ses films, une société dans les îles Vierges britanniques, Glen Valley Corporation. C’était entre 1991 et 1994, l’époque de la sortie de Talons aiguilles ou Kika.

Selon les frères Almodovar, qui ont assuré être à jour « de toutes leurs obligations fiscales », il s’agissait d’« une erreur » due aux « mauvaises recommandations de leur conseiller fiscal ». Reste que pour éviter les questions désagréables, Pedro Almodovar a préféré sacrifier la promotion de son dernier film, Julieta, sorti le 8 avril.

L’ancien champion de moto Alex Crivillé a perçu ses droits d’image via une société offshore. Le fils de la baronne Thyssen, Borja Thyssen-Bornemisza, a, lui, dirigé une société offshore basée au Nevada, associée à un compte en Andorre, Gobrach LLC. On trouve même dans les « Panama Papers », parmi une quarantaine de personnalités connues, les arrière-petits-fils de Franco, Francisco Franco Suelves et Juan José, directeurs de sociétés aux îles Vierges britanniques.

L’ex-épouse du président du groupe Prisa impliquée

L’ancien ministre de l’agriculture et de l’environnement – et actuel commissaire européen de l’énergie et du climat – Miguel Arias Cañete, déjà en difficulté en 2014 pour avoir omis de déclarer au Parlement espagnol ses participations dans deux compagnies pétrolières, a été embarrassé par l’apparition du nom de son épouse, Micaela Domecq, dans les dossiers offshore.

Membre d’une grande famille andalouse, elle apparaît comme fondée de pouvoirs d’une société au Panama, Rinconada Investments Group, associée à un compte suisse. Il s’est contenté d’indiquer qu’ils étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

Le président du groupe de communication Prisa (et membre du conseil de surveillance du Monde), Juan Luis Cebrian, n’a pas du tout apprécié de voir son nom lié aux « Panama papers » : il a indiqué qu’il allait déposer plainte contre les médias pour « informations et commentaires diffamatoires diffusés avec une intention claire de l’associer aux “Panama papers” dans lesquels il n’apparaît pas ».

Les journalistes d’El Pais, propriété du groupe, ont en outre été priés de ne plus participer aux débats télévisés de La Sexta. Enfin, la collaboration hebdomadaire avec la principale chaîne de radio de Prisa du directeur du site d’information Eldiario.es, Ignacio Escolar, qui avait relayé l’information, a été résiliée. Le président de Prisa assure : « Je n’ai pas, ni n’ai jamais eu, aucune entreprise ni compte dans aucun paradis fiscal. »

Le nom de Juan Luis Cebrian n’apparaît effectivement pas dans les documents. Celui de son épouse de l’époque, si. Fondée de pouvoirs de Granite Corporation, en activité aux Seychelles de 2004 à 2010, Teresa Aranda, dont il a divorcé en 2014, a assuré à ElConfidencial.com n’avoir jamais signé quoi que ce soit et a, selon le site, « attribué ces sociétés à l’entourage de son ex-mari ».

Granite Corporation est la bénéficiaire économique de Hypersonic Ltd, basée d’abord à Samoa, puis transférée aux Seychelles et contrôlée par Massoud Farshad Zandi, un homme d’affaires hispano-iranien, grand ami de Juan Luis Cebrian. Au point de lui avoir fait don en 2014 de 2 % de sa compagnie pétrolière basée au Luxembourg, Star Petroleum, via Hypersonic.

Démission du ministre de l’industrie

L’amitié de M. Zandi n’est pas seulement encombrante pour M. Cebrian. Une vidéo a fait scandale : celle de Felipe Gonzalez, ancien président socialiste du gouvernement, chantant les louanges de l’hispano-iranien, qui détient huit sociétés figurant dans les « Panama papers ». L’homme d’affaires Jesus Barderas, un des proches de M. Gonzalez, apparaît lui aussi dans une cinquantaine de sociétés offshore.

Une seule de ces révélations a eu une conséquence immédiate : celles concernant le ministre de l’industrie. José Manuel Soria a annoncé sa démission le 15 avril. Une succession de déclarations contradictoires après l’apparition de son nom dans les documents de Mossack Fonseca lui a fait perdre la confiance du chef du gouvernement, Mariano Rajoy. Il avait d’abord tenté de lui faire croire qu’il s’agissait d’un homonyme.

Il a en réalité été directeur pendant deux mois, en 1992, d’une société aux Bahamas, UK Lines Ltd, avant que son frère ne prenne la relève. C’est encore bien lui qui a été administrateur, en 1995, d’une société, Oceanic Lines, créée à Londres par sa famille, pour exporter des produits agricoles depuis les Canaries. La société est à son tour contrôlée à 80 % par une société de Jersey, Mechanical Trading, dont les administrateurs jusqu’à sa dissolution en 2002, étaient… l’ex-ministre et son frère. Il a promis des explications, que l’Espagne attend toujours.

Le fisc a diligenté de multiples enquêtes. Mais le ministre des finances, Cristobal Montoro, a tempéré son enthousiasme en indiquant qu’une « bonne partie » des personnes qui figurent dans les « Panama papers » ont régularisé leur fortune offshore. Grâce à l’amnistie fiscale qu’il a fait voter en 2012.

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