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Ariane Web: Conseil d'État 427301, lecture du 19 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:427301.20201119

Décision n° 427301
19 novembre 2020
Conseil d'État

N° 427301
ECLI:FR:CECHR:2020:427301.20201119
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN, avocats


Lecture du jeudi 19 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 23 janvier et 21 décembre 2019 et 30 octobre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Grande-Synthe et M. B... A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, sur leurs demandes tendant, d'une part, à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter a minima les engagements consentis par la France au niveau international et national, d'autre part, à ce que soient mises en oeuvre des mesures immédiates d'adaptation au changement climatique de la France, et enfin, à ce que soient prises toutes dispositions d'initiatives législatives et réglementaires afin de " rendre obligatoire la priorité climatique " et interdire toute mesure susceptible d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, de prendre les mesures et dispositions susvisées dans un délai maximum de six mois ;

3°) à titre subsidiaire, de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne plusieurs questions préjudicielles portant sur l'interprétation :
- des stipulations des articles 2, 3, et 4 de l'accord de Paris, afin de déterminer si elles constituent des dispositions d'effet direct dont les particuliers sont fondés à se prévaloir ;
- des dispositions de l'article 3 de la décision n° 406/2009/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à l'effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020 ;
- des dispositions combinées du a) du paragraphe 1er de l'article 2 de l'accord de Paris et de la décision n° 406/2009/CE du 23 avril 2009 précitée ;
- des dispositions des directives 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 relative à l'efficacité énergétique et 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution et son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et son protocole signé à Kyoto le 11 décembre 1997 ;
- l'accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 ;
- la décision 94/69/CE du Conseil du 15 décembre 1993 ;
- la décision 406/2009/CE du Parlement Européen et du Conseil du 23 avril 2009 ;
- la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 ;
- la directive 2012/27/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 ;
- le règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 ;
- la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 ;
- la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 ;
- le décret n° 2015-1491 du 18 novembre 2015 ;
- le décret n° 2019-439 du 14 mai 2019 ;
- le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme D... C..., maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Grande-Synthe et autres, et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de l'association Greenpeace France et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Par trois courriers du 19 novembre 2018, la commune de Grande-Synthe, représentée par son maire en exercice, M. A..., agissant également en son nom personnel en sa qualité de maire et de citoyen, a demandé respectivement au Président de la République, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, d'une part, de prendre toute mesure utile permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de manière à respecter les obligations consenties par la France voire à aller au-delà, d'autre part, de prendre toutes dispositions d'initiatives législative ou réglementaire pour " rendre obligatoire la priorité climatique " et pour interdire toute mesure susceptible d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre, et enfin, de mettre en oeuvre des mesures immédiates d'adaptation au changement climatique de la France. Il a été accusé réception de ces demandes les 20 et 21 novembre 2018. La commune de Grande-Synthe et M. A... demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions de refus implicite nées du silence gardé pendant plus de deux mois sur ces demandes.

Sur la requête en tant qu'elle conclut à l'annulation des décisions implicites portant refus de prendre des dispositions à caractère législatif :

2. La requête présentée par la commune de Grande-Synthe et autre tend en partie à l'annulation des décisions implicites de refus nées du silence gardé par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire sur leurs demandes tendant à ce que soient adoptées, donc soumises au Parlement, toutes dispositions législatives afin de " rendre obligatoire la priorité climatique " et interdire toute mesure susceptible d'augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Cependant, le fait, pour le pouvoir exécutif, de s'abstenir de soumettre un projet de loi au Parlement, touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et échappe, par là-même, à la compétence de la juridiction administrative. Par suite, les conclusions de la requête, en tant qu'elles sont dirigées contre les refus implicites de leurs demandes tendant à ce que soient adoptées des dispositions législatives, doivent être rejetées.

Sur les autres conclusions de la requête :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la ministre de la transition écologique et solidaire :

3. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des données publiées par l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, que le secteur du dunkerquois est identifié comme relevant d'un indice d'exposition aux risques climatiques qualifié de très fort. A cet égard, la commune de Grande-Synthe fait valoir sans être sérieusement contestée sur ce point qu'en raison de sa proximité immédiate avec le littoral et des caractéristiques physiques de son territoire, elle est exposée à moyenne échéance à des risques accrus et élevés d'inondations, à une amplification des épisodes de fortes sécheresses avec pour incidence non seulement une diminution et une dégradation de la ressource en eau douce mais aussi des dégâts significatifs sur les espaces bâtis compte tenu des caractéristiques géologiques du sol. Si ces conséquences concrètes du changement climatique ne sont susceptibles de déployer tous leurs effets sur le territoire de la commune qu'à l'horizon 2030 ou 2040, leur caractère inéluctable, en l'absence de mesures efficaces prises rapidement pour en prévenir les causes et eu égard à l'horizon d'action des politiques publiques en la matière, est de nature à justifier la nécessité d'agir sans délai à cette fin. Par suite, la commune de Grande-Synthe, eu égard à son niveau d'exposition aux risques découlant du phénomène de changement climatique et à leur incidence directe et certaine sur sa situation et les intérêts propres dont elle a la charge, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des décisions implicites attaquées, la circonstance, invoquée par la ministre à l'appui de sa fin de non-recevoir, que ces effets du changement climatique sont susceptibles d'affecter les intérêts d'un nombre important de communes n'étant pas de nature à remettre en cause cet intérêt.

4. En revanche, M. A... qui se borne, d'une part, à soutenir que sa résidence actuelle se trouve dans une zone susceptible d'être soumise à des inondations à l'horizon de 2040, d'autre part, à se prévaloir de sa qualité de citoyen, ne justifie pas d'un tel intérêt.

En ce qui concerne les interventions :

5. En premier lieu, la région parisienne comme l'agglomération grenobloise sont identifiées par l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique comme relevant d'un indice d'exposition aux risques climatiques qualifié de très fort. A cet égard, la Ville de Paris comme celle de Grenoble font notamment valoir, sans être contestées, que le phénomène du réchauffement climatique va conduire à une augmentation importante des pics de chaleur constatés sur leur territoire tant dans leur intensité que dans leur durée, ainsi qu'à une augmentation significative des pluies hivernales renforçant le risque de crue d'ampleur et d'inondations subséquentes. Dans ces conditions, ces deux collectivités justifient d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la demande d'annulation des décisions attaquées.

6. En second lieu, les associations Oxfam France, Greenpeace France et Notre Affaire A Tous, et la Fondation pour la Nature et l'Homme, qui ont notamment pour objet de lutter contre les atteintes anthropiques à l'environnement dont l'une des manifestations réside dans la contribution au phénomène du changement climatique, justifient également d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la demande d'annulation des décisions attaquées.

7. Il résulte de ce qui précède que les interventions de la ville de Paris, de la ville de Grenoble, des associations Oxfam France, Greenpeace France et Notre Affaire A Tous, et de la Fondation pour la Nature et l'Homme sont recevables.

En ce qui concerne la légalité des décisions attaquées :

8. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande de la commune requérante de prendre toute mesure utile permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national, de prendre toute mesure de nature réglementaire tendant à " rendre obligatoire la priorité climatique " et de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation immédiate au changement climatique, réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. Il s'ensuit que lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un tel refus, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

9. D'une part, au niveau mondial, l'article 2 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) du 9 mai 1992 stipule que : " L'objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. (...). ". A cet égard, le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention prévoit notamment que : " Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l'intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l'équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d'être à l'avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes. " Par ailleurs, aux termes de l'article 2 de l'accord de Paris du 12 décembre 2015, conclu dans le cadre de la conférence des parties mentionnée à l'article 7 de la convention : " 1. Le présent Accord, en contribuant à la mise en oeuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en : / a) Contenant l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2° C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l'action menée pour limiter l'élévation de la température à 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques; b) Renforçant les capacités d'adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d'une manière qui ne menace pas la production alimentaire ; / (...). / 2. Le présent Accord sera appliqué conformément à l'équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. " Aux termes des stipulations du paragraphe 1 de l'article 4 de cet accord : " En vue d'atteindre l'objectif de température à long terme énoncé à l'article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l'équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. " Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Chaque partie communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu'elle prévoit de réaliser. Les Parties prennent des mesures internes pour l'atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions. " Enfin, aux termes de son paragraphe 3 : " La contribution déterminée au niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d'ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. "

10. D'autre part, au niveau européen, par la décision 94/69/CE du 15 décembre 1993 concernant la conclusion de la CCNUCC, le Conseil a approuvé la convention au nom de la Communauté européenne, devenue l'Union européenne. Notamment aux fins de mise en oeuvre des stipulations précitées, l'Union européenne a adopté un premier " Paquet Energie Climat 2020 ", composé en particulier de la décision n° 406/2009/CE du 23 avril 2009 relative à l'effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre afin de respecter les engagements de la Communauté en matière de réduction de ces émissions jusqu'en 2020, ayant notamment pour objectif une réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Aux termes de l'annexe II de la décision du 23 avril 2009, une limite d'émission de gaz à effet de serre de - 14 % par rapport aux niveaux d'émission de 2005 a été fixée à la France pour 2020. Par la suite, l'Union européenne, qui a adhéré à l'accord de Paris, a notifié à la Conférence des Etats parties à la CCNUCC, en application des stipulations de l'article 4 de cet accord, une " contribution déterminée au niveau national " (CDN) pour l'Union et ses Etats membres correspondant à une réduction minimum de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Elle a alors adopté un second " Paquet Energie Climat " reposant notamment sur le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, qui, aux termes de son article 1er, " établit pour les États membres des obligations relatives à leurs contributions minimales pour la période 2021-2030, en vue d'atteindre l'objectif de l'Union de réduire, d'ici à 2030, ses émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 dans les secteurs relevant de l'article 2 du présent règlement, et contribue à la réalisation des objectifs de l'accord de Paris. ". L'annexe I du règlement, prévu par son article 4, fixe pour chaque Etat membre le niveau de cette contribution minimale et a assigné à la France une obligation de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 37 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005.

11. Enfin, au niveau national, les dispositions de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, dans leur rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, précisent que : " I. - Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : / 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone mentionnés à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement. Pour l'application du présent 1°, la neutralité carbone est entendue comme un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre, tel que mentionné à l'article 4 de l'accord de Paris ratifié le 5 octobre 2016. La comptabilisation de ces émissions et absorptions est réalisée selon les mêmes modalités que celles applicables aux inventaires nationaux de gaz à effet de serre notifiés à la Commission européenne et dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, sans tenir compte des crédits internationaux de compensation carbone ; / (...) ". En vue d'atteindre cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'article L. 222-1 A du code de l'environnement prévoit que : " Pour la période 2015-2018, puis pour chaque période consécutive de cinq ans, un plafond national des émissions de gaz à effet de serre dénommé " budget carbone " est fixé par décret. " et l'article L. 222-1 B du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019 précitée, notamment que : " I. - La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée " stratégie bas-carbone ", fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes (...) / II. - Le décret fixant la stratégie bas-carbone répartit le budget carbone de chacune des périodes mentionnées à l'article L. 222-1 A par grands secteurs, notamment ceux pour lesquels la France a pris des engagements européens ou internationaux, par secteur d'activité ainsi que par catégorie de gaz à effet de serre. La répartition par période prend en compte l'effet cumulatif des émissions considérées au regard des caractéristiques de chaque type de gaz, notamment de la durée de son séjour dans la haute atmosphère. (...) / Il répartit également les budgets carbone en tranches indicatives d'émissions annuelles. / III. - L'Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs prennent en compte la stratégie bas-carbone dans leurs documents de planification et de programmation qui ont des incidences significatives sur les émissions de gaz à effet de serre. / Dans le cadre de la stratégie bas-carbone, le niveau de soutien financier des projets publics intègre, systématiquement et parmi d'autres critères, le critère de contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les principes et modalités de calcul des émissions de gaz à effet de serre des projets publics sont définis par décret. " Aux termes de l'article D. 222-1-A du code de l'environnement dans sa rédaction issue du décret du 18 novembre 2015 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone : " I. - Les émissions de gaz à effet de serre comptabilisées au titre des budgets carbone fixés en application de l'article L. 222 1 A sont celles que la France notifie à la Commission européenne et dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. / (...) " Aux termes de l'article D. 222-1-B du même code : " I. - Le respect des budgets carbone est évalué sur la base des inventaires annuels transmis à la Commission européenne ou dans le cadre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques les plus à jour. " Enfin, en vertu de l'article 2 de ce décret du 18 novembre 2015 : " Les budgets carbone des périodes 2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028 sont fixés respectivement à 442, 399 et 358 Mt de CO2eq par an, à comparer à des émissions annuelles en 1990, 2005 et 2013 de, respectivement, 551, 556 et 492 Mt de CO2eq. "

12. Il résulte de ces stipulations et dispositions que l'Union européenne et la France, signataires de la CCNUCC et de l'accord de Paris, se sont engagées à lutter contre les effets nocifs du changement climatique induit notamment par l'augmentation, au cours de l'ère industrielle, des émissions de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines, en menant des politiques visant à réduire, par étapes successives, le niveau de ces émissions, afin d'assumer, suivant le principe d'une contribution équitable de l'ensemble des Etats parties à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, leurs responsabilités communes mais différenciées en fonction de leur participation aux émissions acquises et de leurs capacités et moyens à les réduire à l'avenir au regard de leur niveau de développement économique et social. Si les stipulations de la CCNUCC et de l'accord de Paris citées au point 9 requièrent l'intervention d'actes complémentaires pour produire des effets à l'égard des particuliers et sont, par suite, dépourvues d'effet direct, elles doivent néanmoins être prises en considération dans l'interprétation des dispositions de droit national, notamment celles citées au point 11, qui, se référant aux objectifs qu'elles fixent, ont précisément pour objet de les mettre en oeuvre.

13. A cet égard, l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 fixé à l'article L. 100-4 du code de l'énergie, qui mentionne désormais expressément la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ainsi que l'accord de Paris, a pour objet d'assurer, pour ce qui concerne la France, la mise en oeuvre effective des principes posés par cette convention et cet accord. A cet égard, afin d'atteindre effectivement cet objectif de réduction, les dispositions de l'article L. 222-1-A du code de l'environnement confient à un décret le soin de fixer un plafond national des émissions de gaz à effet de serre pour la période 2015-2018 puis pour chaque période consécutive de cinq ans. Dans ce cadre, l'article 2 du décret du 18 novembre 2015 cité au point 11 a fixé pour la période 2015-2018, correspondant au premier budget carbone et à la seule période achevée au jour de la présente décision, une valeur limite de 442 Mt de CO2eq par an.

S'agissant du refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national :

14. Il ressort des pièces du dossier, notamment des données communément admises en matière d'émissions de gaz à effet de serre, que, au terme de la période 2015-2018, la France a substantiellement dépassé le premier budget carbone qu'elle s'était assignée, d'environ 62 Mt de CO2eq par an, réalisant une baisse moyenne de ses émissions de 1 % par an alors que le budget fixé imposait une réduction de l'ordre de 2,2 % par an. Les années 2015, 2016 et 2017 ont ainsi donné lieu à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre et l'année 2018, malgré un retour à une diminution de ces émissions, a conduit à un dépassement de 4,5 % de la part annuelle fixée par ce premier budget carbone, l'ensemble des secteurs d'activité affichant un dépassement de leurs objectifs pour cette même année. A cet égard, dans ses deux premiers rapports annuels publiés en juin 2019 et juillet 2020, le Haut conseil pour le climat, organe indépendant créé par le décret du 14 mai 2019 afin d'émettre des avis et recommandations sur la mise en oeuvre des politiques et mesures publiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France, a souligné les insuffisances des politiques menées pour atteindre les objectifs fixés.

15. Toutefois, le décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas carbone a sensiblement modifié le 2ème budget carbone (correspondant à la période 2019-2023) prévu par le décret du 18 novembre 2015, en relevant de 399 Mt de CO2eq à 422 Mt de CO2eq par an le plafond des émissions pour cette période. Il a, en revanche, maintenu l'objectif assigné au 3ème budget carbone (correspondant à la période 2024-2028), en le passant de 358 Mt de CO2eq par an prévu par le même décret du 18 novembre 2015 à 359 Mt de CO2eq, et fixé le 4ème budget carbone (correspondant à la période 2029-2033) à 300 Mt de CO2eq par an. Ce 4ème budget carbone est de nature à permettre d'atteindre l'objectif final de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990, fixé à l'article L. 100-4 du code de l'énergie, et de 37 % par rapport à leurs niveaux de 2005, assigné à la France par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018. Toutefois, les modifications apportées par le décret du 21 avril 2020 par rapport à ce qui avait été envisagé en 2015, revoient à la baisse l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet au terme de la période 2019-2023, correspondant au 2ème budget carbone, et prévoient ce faisant un décalage de la trajectoire de réduction des émissions qui conduit à reporter l'essentiel de l'effort après 2020, selon une trajectoire qui n'a jamais été atteinte jusqu'ici. Au demeurant, les données scientifiques les plus récentes, notamment les rapports publiés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), mettent au contraire en évidence une aggravation des risques climatiques à augmentation de température constante, de sorte que, dans une communication récente, la Commission européenne envisage de proposer d'augmenter l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne pour 2030 en notifiant à la Conférence des Etats parties à la CCNUCC une nouvelle CDN de - 55 % par rapport au niveau d'émission de 1990.

16. Par suite, il ne peut être statué sur les conclusions de la requête tendant à l'annulation du refus implicite de prendre toute mesure utile permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national en l'état du dossier, ce dernier ne faisant notamment pas ressortir les éléments et motifs permettant d'établir la compatibilité du refus opposé avec la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre telle qu'elle résulte du décret du 21 avril 2020 permettant d'atteindre l'objectif de réduction du niveau des émissions de gaz à effet de serre produites par la France fixé par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018. Il y a donc lieu d'ordonner un supplément d'instruction tendant à la production de ces éléments.

S'agissant du refus implicite de prendre toute mesure d'initiative réglementaire tendant à " rendre obligatoire la priorité climatique " :

17. Le moyen tiré de ce que le refus implicite de prendre toute mesure d'initiative réglementaire tendant à " rendre obligatoire la priorité climatique " serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

S'agissant du refus implicite de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation immédiate au changement climatique :

18. Si la commune de Grande-Synthe soutient que la décision qu'elle attaque méconnaît les stipulations de l'article 2 de l'accord de Paris cité au point 9, ces stipulations, ainsi qu'il a été dit au point 12, sont dépourvues d'effet direct. Dès lors, leur seule méconnaissance ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision attaquée.

En ce qui concerne les conclusions de la requête présentées au titre de l'article L. 761-1 en tant qu'elle concerne M. A... :

19. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les conclusions de la requête présentées au titre de l'article L. 761-1 en tant qu'elles concernent M. A... ne peuvent qu'être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : Les conclusions de la requête de la commune de Grande-Synthe et autre dirigées contre le refus implicite de prendre toute mesure d'initiative législative tendant à " rendre obligatoire la priorité climatique " sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées en tant qu'elles concernent M. A....
Article 3 : Les interventions de la Ville de Paris, de la ville de Grenoble, des associations Oxfam France, Greenpeace France et Notre Affaire A Tous et de la Fondation pour la Nature et l'Homme sont admises dans la limite de la recevabilité de la requête de la commune de Grande-Synthe.

Article 4 : Les conclusions de la requête de la commune de Grande-Synthe tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des refus implicites de prendre toute mesure d'initiative réglementaire tendant à " rendre obligatoire la priorité climatique " et de mettre en oeuvre des mesures d'adaptation immédiate au changement climatique sont rejetées.
Article 5 : Avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de la commune de Grande-Synthe, il sera procédé à un supplément d'instruction tendant à la production par les parties des éléments au point 16 de la présente décision.
Article 6 : Ces éléments devront parvenir au secrétariat de la section du contentieux dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la commune de Grande-Synthe, première requérante dénommée, à la Ville de Paris, la ville de Grenoble, aux associations Oxfam France, Greenpeace France et Notre Affaire à Tous et à la Fondation pour la Nature et l'Homme, au Président de la République, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.


Voir aussi